Que faut-il entendre par « projets phares en matière d’agroécologie » ?
Samira Amos : Les projets phares sont des exploitations et des entreprises qui remplissent particulièrement efficacement les critères de l’agroécologie. Il peut s’agir d’exploitations agricoles novatrices, mais aussi d’entreprises du secteur de la restauration, de la formation ou de la transformation. À travers ces projets, nous montrons à quel point l’agroécologie est déjà une réalité vécue de diverses manières en Suisse, et témoignons qu’une agriculture et une alimentation saines et équitables sont possibles. Ces initiatives prennent place tout au long de la chaîne de création de valeur. Nous souhaitons leur offrir une visibilité, car elles restent habituellement dans l’ombre du système alimentaire conventionnel. Rien n’est en effet plus convaincant qu’une idée ayant fait ses preuves dans la pratique !
Les exemples ont été sélectionnés parmi environ 300 propositions que vous avez examinées. Quels critères avez-vous retenus ?
Nous avons spécialement veillé à ce que les entreprises prennent en compte les principes de l’agroécologie de la manière la plus globale possible. Ainsi, les exploitations doivent être particulièrement respectueuses de l’environnement, par exemple en renonçant aux pesticides, et doivent aussi prendre en compte et intégrer les aspects sociaux et les questions d’équité dans leur travail. Nous voulions par ailleurs montrer la diversité qui existe tout au long de la chaîne de création de valeur, du champ à l’assiette, et dans toutes les régions linguistiques de Suisse. Nous avons plus particulièrement retenu les approches faisant écho aux débats sur l’avenir alimentaire de la Suisse, tels que le changement de nos habitudes en la matière ou le gaspillage. Pour l’instant, nous présentons 18 projets phares. D’autres viendront s’y ajouter dans les prochains mois.
Quel projet vous a spécialement impressionné ?
Dans le domaine agricole, il y a par exemple la ferme Adlerzart de Pirmin Adler, à Oberrüti, qui est exploitée selon une approche agroforestière. Les pâturages de Pirmin Adler sont couverts de plus de 1500 arbres et arbustes qui servent de nourriture aux bovins et aux volailles, et participent en même temps au bien-être des animaux. Ces végétaux apportent une contribution essentielle à la biodiversité et ils améliorent la fertilité des sols. Cette approche présente aussi des avantages économiques que je trouve très intéressants. Par exemple, l’approche agroforestière a permis à l’exploitation de gagner en indépendance, puisqu’elle doit acheter moins de compléments minéraux pour l’alimentation des bovins.
Un autre exemple vient du secteur de la restauration. Le chef Hansjörg Ladurner, du restaurant « Scalottas Terroir » à Lenzerheide, ne se contente pas de cuisiner de manière durable, il travaille aussi avec 40 producteur·trices de la région. Cette collaboration prend une forme unique ! C’est ainsi en travaillant avec l’agriculteur bio Marcel Heinrich de la ferme « La Sorts » que Hansjörg Ladurner a redécouvert la féverole de montagne, une très ancienne plante de culture. Marcel Heinrich a multiplié les deux derniers kilos de semences qui lui restaient, et Hansjörg Ladurner a utilisé la récolte pour essayer de nouvelles recettes. Aujourd’hui, des plats à base de féverole de montagne figurent sur la carte du Scalottas Terroir, et Marcel Heinrich commercialise directement des produits issus de ses cultures.
Il y a également l’exemple de « ConProBio », au Tessin, qui nous permet de montrer comment des consommateur·trices peuvent s’associer avec des producteur·trices pour promouvoir la production et la vente de produits biologiques. Voilà plus de 30 ans qu’ils privilégient les variétés locales, les petites entreprises et les circuits courts. Il s’agit là d’une approche systémique.
Sur la personne
Samira Amos est experte scientifique en environnement. Elle travaille chez Biovision au sein de l’équipe Programme Suisse sur l’agroécologie.
Sur Internet, on peut trouver en un clic des centaines de fermes et d’initiatives écologiques. En quoi les projets phares de Biovision se distinguent-ils ?
Nous avons évalué nos 20 projets phares au moyen de l’outil B-ACT. Cet outil permet d’analyser le profil agroécologique d’un projet. Il associe chacun des 13 principes de l’agroécologie à l’un des principaux critères des systèmes alimentaires durables, selon qu’il participe à améliorer l’efficacité d’utilisation des ressources, à renforcer la résilience ou à assurer l’équité/la responsabilité sociale. On peut ainsi savoir dans quelle mesure une exploitation ou une initiative contribue à chaque principe. Est-ce qu’elle améliore la santé du sol ? Ou renforce-t-elle plutôt le lien entre consommateur·trices et producteur·trices ? Le résultat de l’évaluation est toujours présenté sous la forme d’un graphique explicite.
Au cours de vos recherches, vous avez également découvert des potentiels d’amélioration et des problèmes concrets auxquels se heurte l’agroécologie. Quels sont-ils ?
J’ai pu discuter avec les responsables de projet des difficultés auxquelles il·elles sont confronté·es et des limites qu’il·elles rencontrent. J’ai relevé trois problèmes principaux. L’un d’entre eux est que la législation actuelle, par exemple pour les paiements directs, est uniquement axée sur les exploitations familiales conventionnelles et sur les grandes entreprises. Les autres types d’initiatives, ou celles ancrées localement, ne sont donc pas suffisamment encouragés. Ainsi, puisque de nombreuses exploitations agroécologiques sont des coopératives, elles ne peuvent pas recevoir de paiements directs ni acquérir des terres agricoles.
Une deuxième difficulté est celle de la participation et du vivre ensemble, un facteur important dans de nombreux projets agroécologiques. Dans la société actuelle, axée sur la performance, peu de personnes peuvent s’engager régulièrement et à long terme dans de telles initiatives.
Un troisième problème que nous avons rencontré est l’incertitude liée au financement ; elle touche presque tous les projets, que ce soit dans la phase initiale ou plus tard pour leur expansion. Ce manque de ressources touche aussi la recherche et le développement, comme en témoigne le projet « Honesta ».
Pourquoi les projets phares sont-ils importants pour Biovision ?
Biovision s’engage pour un système alimentaire durable et diversifié. Nos projets phares en matière d’agroécologie témoignent qu’il existe déjà en Suisse une immense diversité d’idées, de formes d’agriculture et de façons de s’alimenter. Ce fait est malheureusement souvent oublié ou ignoré au niveau politique. C’est pourquoi nous voulons montrer le courage et la capacité d’innovation de celles et ceux qui portent ces initiatives et faire en sorte qu’il·elles soient reconnu·es par le monde politique et par l’ensemble de la société. Enfin, les projets phares permettent, en se basant sur des faits, de construire un discours sur la façon dont l’agroécologie peut contribuer concrètement à des systèmes alimentaires durables et sur les raisons qui font que les exploitations conventionnelles ne peuvent pas y parvenir. Les analyses que nous effectuons avec l’outil B-ACT sur la base des 13 principes de l’agroécologie le montrent aussi très clairement. Les projets phares de l’agroécologie ont pour but d’informer et d’inspirer aussi bien les responsables politiques que les consommateur·trices et de contribuer à l’amélioration des conditions générales de l’agroécologie en Suisse.
Quelles conclusions pouvez-vous tirer des évaluations ?
L’agroécologie est devenue une réalité ! Malheureusement, de nombreux projets restent dans l’ombre du système conventionnel et se débattent contre des conditions cadres défavorables. Le système actuel ne se tourne pas assez vers l’innovation et la diversité agroécologiques. Les personnes derrière ces initiatives méritent beaucoup plus d’attention et de considération !
Pour finir, pouvez-vous nous donner votre vision personnelle ?
Je souhaite que la promotion de la diversité des projets agroécologiques – de l’exploitation familiale classique à l’alimentation solidaire et participative – devienne rapidement un pilier central de notre politique agricole.
Octobre 2023 : Journées de l'agroécologie
Lors de 70 manifestations, des exploitations, des fermes, des groupes et des instituts suisses présentent l’agroécologie dans toute sa diversité. Les Journées de l’agroécologie encouragent les échanges au sein et avec les initiatives agroécologiques de Suisse.
Biovision participe aux Journées de l’agroécologie à travers trois événements :
- le 3 octobre, à 14 heures : « À quoi ressemble un projet ou une entreprise agroécologique ? Une discussion en ligne sur la façon de mesurer l’agroécologie » (à propos de l’événement)
- Date à déterminer : « Repenser nos exploitations agricoles : échange d’expériences sur des concepts novateurs» (à propos de l’événement)
- le 28 octobre, à 14 heures : clôture des Journées de l’agroécologie au Huebhof, à Zurich (à propos de l’événement)
Consultez le programme complet ici : www.agroecologyworks.ch/fr/journees-de-l-agroecologie/2023/events