La diversification, recette pour des repas garantis

Par

Patricio Frei, Biovision.

En décembre 2023, le lancement d’une stratégie nationale soutenant le développement de l’agroécologie a marqué un nouveau jalon pour la Tanzanie. Mwutima Juma, de notre organisation partenaire TOAM, explique l’importance de cette stratégie pour les familles paysannes et le rôle qu’a joué Biovision dans le processus d’élaboration.

Biovision intensifie son action en faveur de l’élaboration de stratégies nationales en matière d’agroécologie, en particulier au Burkina Faso, au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Ces stratégies de soutien aux familles paysannes et à d’autres acteurs majeurs permettent de mettre en place des mesures ciblées tout au long de la chaîne de valeur agroécologique, ce qui contribue à renforcer l’importance des pratiques agroécologiques au niveau national.

En quoi consiste cette stratégie nationale en matière d’agroécologie?

Cette stratégie vise à encourager l’agriculture écologique en Tanzanie. Et c’est nouveau, car jusqu’ici, le gouvernement tanzanien ne s’était pas vraiment préoccupé de ce sujet. Or c’est lui qui tient les rênes du développement des communautés et de la garantie des moyens de subsistance. Il fallait donc nécessairement l’impliquer pour parvenir à quelque chose. C’est pourquoi, à TOAM, nous collaboré avec d’autres organisations pour accompagner le gouvernement dans l’élaboration d’une stratégie malgré son scepticisme initial.

Comment s’est déroulée l’élaboration de cette stratégie ?

Nous avons tout d’abord formé un comité de pilotage composé de représentant·es du gouvernement et d’autres ONG afin de faire le point, avec les paysan·nes et d’autres personnes sur le terrain, sur les avantages et les inconvénients de l’agriculture écologique. De cette discussion a résulté la première version du projet, que nous avons remise à ces mêmes personnes pour évaluation. Nous avons effectué la même démarche avec la deuxième et la troisième version, jusqu’à ce que nous parvenions à une stratégie approuvée tant par le gouvernement que par les autres organisations. Nous disposons donc à présent d’une base sur laquelle nous appuyer pour poursuivre la collaboration avec le ministère.

Mwatima Juma

Mwatima Juma a participé à l’élaboration de la stratégie nationale en matière d’agroécologie en Tanzanie (National Ecological Organic Agriculture Strategy, NEOAS), en tant que représentante de TOAM (Tanzania Organic Agriculture Movement). Titulaire d’un doctorat, elle s’est spécialisée dans le développement rural et dirige une ferme bio en permaculture.

Quels défis avez-vous rencontrés lors de l’élaboration de la stratégie?

Le processus a pris du temps et a été coûteux, car nous avons dû nous entretenir avec de nombreuses personnes dans différentes régions. Le gouvernement a mis une équipe à disposition, mais n’a pas prévu de logistique sur place: pas de véhicules ni de carburant pour aller à la rencontre des gens. Ces défis logistiques ont rendu le processus très difficile, mais la forte participation a été décisive pour l’acceptation de la stratégie.

Pourquoi cette stratégie est-elle si importante pour les familles paysannes en Tanzanie?

En Tanzanie, une majorité de personnes dépendent de l’agriculture pour leur subsistance. La monoculture en particulier ne permet pas aux familles de répondre à leurs besoins. Malgré 70 ans de chimie agricole, la famine persiste. La préservation de l’écosystème, la production équitable et la santé des êtres humains et du sol sont au cœur de l’agroécologie. Ce sont des objectifs que nous pouvons atteindre avec des pratiques agroécologiques. Pour l’avoir expérimenté dans ma ferme à Zanzibar, je sais que la diversification des cultures permet de manger chaque jour de l’année.

«À présent, nous avons une base solide sur laquelle nous appuyer»: lancement de la stratégie nationale de soutien à l’agroécologie en Tanzanie.

Quels sont les autres avantages de l’agroécologie?

L’agroécologie contribue à la protection du climat et améliore la fertilité des sols. La science nous montre que la culture biologique permet au sol d’absorber davantage de dioxyde de carbone. Elle réduit par ailleurs la dépendance vis-à-vis des engrais chimiques, ce qui, à long terme, améliore la santé des sols et stabilise les rendements.

Quel a été le rôle de Biovision dans ce processus?

Biovision a été d’une grande aide. Quand on veut développer une stratégie qui se soucie vraiment de la sécurité alimentaire, on ne peut pas se contenter de rester assis derrière un bureau pour rédiger un document. Il faut aller à la rencontre des gens. Biovision nous a permis de le faire en finançant des ateliers. Les informations de fond que Biovision nous a fournies ont aussi été d’une importance capitale dans l’élaboration de la stratégie. Grâce à Biovision, nous avons pu en outre nouer un dialogue avec des organisations et des gouvernements d’autres pays également préoccupés par le développement de stratégies nationales en matière d’agroécologie.

Quels sont les défis à relever pour la mise en œuvre?

Il faut sensibiliser les paysan·nes. Mais plus important encore, il faut aiguiser la conscience des consommateur·trices afin qu’il·elles incitent les paysan·nes à cultiver ce qui est bon pour eux·elles. En parallèle, les services de conseil et les expert·es font leur travail de plaidoyer au sein des organes gouvernementaux et des départements de recherche.

Quelles opportunités économiques les pratiques agroécologiques permettent-elles de créer?

L’introduction de l’agroécologie permet à la fois d’augmenter la diversité et de créer des opportunités économiques. Des jeunes développent déjà des pesticides biologiques et des biostimulants, plantent des essences locales telles que des margousiers, etc. Toutes ces innovations créent des opportunités de revenus et facilitent l’accès à des produits et à des services essentiels pour les paysan·nes.

David Silinde, vice-ministre de l'Agriculture et Mwatima Juma dégustent différents plats.

Quels sont les défis posés par les multinationales?

Les multinationales ont compris qu’elles pouvaient gagner beaucoup d’argent en exerçant un contrôle sur les denrées alimentaires. Et elles savent que l’agroécologie risque de leur faire perdre ce contrôle, car les familles paysannes vont multiplier leurs semences au lieu de les acheter. Pendant 70 ans, on nous a promis une agriculture plus rentable et efficace. C’est le contraire qui s’est produit : nous avons creusé notre propre tombe.

Pourquoi est-il important que des organisations comme Biovision participent à l’élaboration d’une stratégie nationale?

Parce que des organisations comme Biovision sont indépendantes. Elles décident de ce qu’elles font de leur argent. De nombreuses organisations ont des contraintes politiques. Dans Biovision, il y a le mot «vision» et le préfixe «bio», qui signifie «vie». Biovision est une organisation qui n’a pas d’autre intérêt que de soutenir la vie. Et si une autre organisation a besoin de soutien, Biovision y répond en allant dans son sens et en l’encourageant à atteindre ses objectifs. Elle ne cherche pas à la faire changer de direction.

Quelle est la prochaine étape?

Avec Biovision, nous élaborons actuellement une stratégie de collecte de fonds afin de solliciter d’autres bailleurs de fonds en prévision de la mise en œuvre. Il est absolument essentiel de prévoir un plan de mise en œuvre solide ainsi qu’un suivi et un contrôle rigoureux des progrès réalisés. Et le plan de mise en œuvre doit être élaboré en étroite collaboration avec de nombreux acteurs sur le terrain.

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