Quels sont les objectifs de l’initiative biodiversité, qui sera soumise au vote le 22 septembre prochain ?
L’initiative biodiversité a ceci de particulier qu’elle vise à ancrer la protection de la biodiversité au plus haut niveau législatif, à savoir dans la Constitution. C’est sur cette modification que le peuple suisse devra se prononcer. L’initiative est délibérément formulée de manière ouverte. Elle ne donne pas de directives concrètes, par exemple sur la surface à consacrer à la préservation de la biodiversité. La démarche est donc plus globale que concrète, l’objectif supérieur étant d’allouer durablement davantage de ressources à la préservation des écosystèmes existants.
Pourquoi mettre ainsi l’accent sur la biodiversité ?
La biodiversité joue un rôle fondamental dans la stabilité et le fonctionnement de nos écosystèmes, donc dans notre existence à toutes et tous. Elle est au moins aussi importante que notre climat et exerce une influence considérable sur notre système alimentaire, notamment. Or elle a souvent été négligée ces dernières années dans les discussions autour de la crise climatique. Beaucoup n’ont pas encore pris conscience que nous sommes en présence d’une double crise : une crise climatique et une crise de la biodiversité.
Daniel Seifert
Coordinateur du programme de Politique alimentaire en Suisse chez Biovision.
Et pour notre agriculture ?
La biodiversité est essentielle à toute forme d’agriculture. Il n’y a pas d’agriculture sans biodiversité, car celle-ci est le fondement même des innombrables services écosystémiques que la nature nous rend. Prenons l’exemple le plus connu, celui de la pollinisation : une grande partie de nos aliments, en particulier les fruits et les autres produits agricoles, dépendent de la pollinisation par les insectes. L’effondrement des populations de pollinisateurs risque de poser de graves problèmes.
Comment l’importance de la biodiversité se traduit-elle concrètement dans les pratiques agricoles ?
Toute la vie du sol relève de la biodiversité, comme nous le montrons par exemple dans le cadre de notre projet Sounding Soil. Dans un sol vivant, on peut littéralement entendre la biodiversité. Nous devons donc prendre soin de la terre pour que nos plantes puissent croître. Et il est primordial de tendre vers plus d’agrobiodiversité, c’est-à-dire vers une plus grande diversité des variétés cultivées. Cultiver une seule variété de bananes, comme c’est souvent le cas actuellement, comporte d’énormes risques : un champignon s’attaquant spécifiquement à cette variété pourrait éradiquer les bananes à l’échelle planétaire ! Idem pour les pommes, les carottes ou encore les tomates. La diversité variétale diminue extrêmement rapidement pour ces cultures. Certaines d’entre elles ont déjà totalement disparu.
Quel rôle joue la biodiversité pour Biovision ?
Biovision a toujours accordé une grande importance à la biodiversité. Les origines de la Fondation en témoignent. Il y a plus de 25 ans, alors qu’un parasite dévastait des champs de manioc au Kenya, le fondateur de Biovision, Hans R. Herren, y a introduit une espèce de guêpe capable de s’y attaquer. Il a donc misé sur la lutte biologique, qui se sert précisément de la biodiversité.
Biovision ne prend pas souvent position lors de votations. Pourquoi se prononce-t-elle aujourd’hui ouvertement en faveur de l’initiative biodiversité ?
Il est vrai que Biovision s’efforce toujours de comprendre et de faire comprendre les différents points de vue. Pour cette initiative, un contre-projet était depuis longtemps sur la table, et nous l’aurions accueilli très favorablement. Mais il n’a pas abouti, alors qu’il est urgent d’enrayer la perte de biodiversité. Biovision craint par ailleurs qu’un rejet de l’initiative constitue pour certains groupes un argument pour balayer complètement le sujet. Les opposant·es pourraient dire : « Le peuple a rejeté l’initiative, il n’y a plus rien à faire, le sujet est clos. » Ce serait dramatique.
Comment la Suisse se situe-t-elle par rapport aux autres pays en matière de biodiversité ?
La Suisse a souvent été en avance sur tout ce qui a trait à la préservation de l’environnement, en particulier dans le domaine de l’agriculture. Mais ces dernières années, la Suisse a été dépassée par d’autres pays européens. Notre agriculture intensive menace de nombreuses espèces et n’atteint que rarement les objectifs environnementaux en la matière.
Y a-t-il malgré tout des lueurs d’espoir pour la biodiversité dans l’agriculture suisse ?
Il existe bien sûr aussi de nombreux exemples de bonnes pratiques qui accordent autant d’importance à la biodiversité qu’à la productivité. Ce sont ces modèles que nous avons décidé de mettre en avant chez Biovision, pour montrer qu’il est possible de faire autrement. Mais dans l’ensemble, la production suisse reste très intensive. Si nous voulons vraiment atteindre une autosuffisance durable, nous devons pouvoir compter sur une biodiversité intacte. C’est la seule solution viable sur le long terme.
Que faudrait-il faire concrètement si l’initiative était acceptée ?
Nous devons enfin reconnaître que la biodiversité est l’affaire de tous·tes. Ce n’est pas une problématique propre à l’agriculture. La société entière doit contribuer à la préservation de la biodiversité, qui touche les domaines les plus divers de notre vie. Chez Biovision, nous nous concentrons sur l’agriculture parce que c’est notre mission et notre domaine d’expertise. Mais il doit être souligné que les agriculteur·trices ne sont pas les seul·es à porter une responsabilité. Pour ce qui est de l’agriculture, nous pensons que des approches systémiques comme l’agroécologie doivent prendre de l’ampleur. Les méthodes qui ont fait leurs preuves, telles que l’agroforesterie, doivent être encouragées et davantage mises en avant dans la formation des agriculteur·trices. Nous devons veiller à ce que la prochaine génération de professionnel·les comprenne l’importance de la biodiversité et en tienne compte dans sa pratique. Et nous devons admettre qu’il est possible de concilier productivité et biodiversité.
Quels sont les succès déjà obtenus par Biovision sur tout ce qui a trait à la biodiversité ?
La biodiversité a toujours été un élément central de notre travail. Hans R. Herren a été à l’avant-garde de la lutte biologique contre les parasites. Son travail a permis d’améliorer les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes. À l’international, nous avons également apporté une contribution majeure à la préservation de la biodiversité, en particulier dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique. Presque tous nos projets accordent un rôle central à la biodiversité et s’en servent pour renforcer la sécurité alimentaire des paysan·nes, la santé des sols et la résilience des écosystèmes, par exemple face aux événements climatiques extrêmes. Cette approche globale apporte un nombre incalculable d’avantages.
Qu’est-ce qui te motive personnellement à t’engager en faveur de la biodiversité ?
Nous sommes confronté·es à d’immenses défis. Cela peut être oppressant, car on ne sait souvent pas par où commencer. Ce qui me motive dans mon travail pour Biovision, c’est justement cette approche systématique, qui nous permet de collaborer avec de nombreux partenaires de projet et d’agir à une échelle plus large. Nous sommes bien ancré·es, dans l’agriculture suisse comme dans le Sud global, et cela me donne confiance dans notre capacité à œuvrer ensemble à la transformation des systèmes alimentaires.
Comment agir au quotidien pour la biodiversité ?
Il faut soutenir consciemment des modes de production qui misent sur la biodiversité. Je veux parler de choix de consommation qui consistent à privilégier les produits qui portent des labels durables et qui reconnaissent le travail des paysan·nes à leur juste valeur. Échanger avec les producteur·trices permet de mesurer et d’honorer le surcroît de travail qu’il·elles fournissent. C’est tout aussi important. Semer des plantes locales appréciées des abeilles et des autres pollinisateurs, et contribuer à des sols vivants et ouverts qui puissent servir d’habitat à des animaux sont des actes simples mais efficaces. En fin de compte, l’essentiel est que chacun·e utilise au quotidien les possibilités qui lui sont offertes pour favoriser la biodiversité – que ce soit par une consommation consciente, par des voyages responsables ou par un aménagement écologique de son espace de vie.
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