Le Sommet de l’ONU continue d’ignorer les raisons à l’origine du dysfonctionnement de nos systèmes alimentaires

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Par Hans R. Herren

Cette rencontre d’envergure mondiale a manqué une formidable occasion d’envisager des alternatives viables à nos modes de production actuels, dominés par une quête de profit aux conséquences dévastatrices pour l’environnement.
Portrait de Hans R Herren

Au lieu du bond en avant tant attendu, ce fut un formidable cas d’école de raté en haut lieu. Le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires était censé amorcer une véritable transition entre le système défaillant que nous connaissons et la voie de l’équité, de la résilience climatique et de la sécurité alimentaire que nous espérons pour l’avenir de la planète. Il n’a opéré qu’un retour à la case départ : une ribambelle de fausses solutions et un silence assourdissant sur les causes profondes des problématiques actuelles.

Un sommet international sur les systèmes alimentaires était attendu depuis longtemps. Car notre système alimentaire n’est pas viable. Ni pour les êtres humains, ni pour les animaux, et encore moins pour la planète dans son ensemble. Pas moins de 37 % des émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique sont imputables à la production alimentaire. L’obésité et la malnutrition gagnent du terrain, au même titre que la faim dans le monde : en 2020, un dixième de la population en souffrait. 

Nous ne pouvons prendre ses problématiques à bras-le-corps sans revoir la manière dont nous produisons, transformons et consommons nos aliments. Le Sommet était une occasion historique d’opérer un virage que personne ne peut négocier isolément, en dehors de ces événements exceptionnels. Alors pourquoi ce loupé ?

Dès le début, des voix se sont élevées contre l’influence excessive de certaines entreprises sur le Sommet. Or le secteur privé porte une grande part de responsabilité dans les désastres de nos systèmes alimentaires. Le Sommet a scellé un partenariat étroit avec le Forum Économique Mondial, une organisation de défense des intérêts économiques privés, et a été co-sponsorisé par la Fondation Bill et Melinda Gates, dont personne n’ignore les liens avec le secteur privé.

Ces accointances ont poussé plusieurs groupes de représentant·es de paysan·nes et de petit·es producteur·trices, mais également des ONG internationales, à boycotter la rencontre.

Leurs inquiétudes étaient fondées. L’industrie agroalimentaire s’est prêtée au jeu des bons mots sur la transformation du système alimentaire durant la phase préparatoire, acquiesçant aux préoccupations concernant le climat, les moyens de subsistance, l’environnement, la transparence, etc. Mais tant que les gouvernements ne contraignent pas les entreprises à rendre des comptes, il y a fort à parier que ces promesses resteront lettre morte.

Le manque d’ambition a été un autre obstacle majeur à la réussite du Sommet. Les arguments en faveur de la nécessité de réformer le système en profondeur n’ont jamais été aussi probants : d’après de nouveaux chiffres publiés la semaine dernière, 87 % des subventions agricoles mondiales, ce qui représente pas moins de 540 milliards de dollars, nuisent au climat, à l’environnement et à la santé humaine. Malgré cela, le Sommet n’est pas parvenu à amorcer un réel virage vers une production alimentaire plus durable.

Alors qu’il a été démontré que l’agroécologie pouvait augmenter le rendement des cultures de près de 80 %, améliorer l’accès des populations à la nourriture et faire reculer la faim, faire progresser les revenus des paysan·nes et renforcer la résilience face aux inondations, aux sécheresses et à d’autres phénomènes extrêmes, ce secteur manque cruellement de financements. 

Bien que le Sommet ait débouché sur des engagements en matière de réforme des subventions et qu’une poignée de gouvernements commence à prendre l’agroécologie au sérieux, la plupart des fonds serviront en réalité à perpétuer le « business as usual ».

Le Sommet a par ailleurs été l’occasion de lever des fonds en faveur de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), une initiative largement financée par la Fondation Gates et présidée par Agnes Kalibata, l’Envoyée spéciale pour le Sommet. Or plus d’argent pour l’AGRA, c’est plus de solutions descendantes (top-down), conçues pour l’Afrique et non avec l’Afrique.

En toute fin de Sommet, une méthode de travail descendante, dénuée de transparence, a été employée. Ce modus operandi a été particulièrement manifeste au sein du Groupe scientifique, mis sur pied pour délivrer en un temps record des conseils aux décideur·euses, mais largement critiqué pour sa complaisance avec l’agroindustrie et ses solutions high-tech. 

STOP AU « BUSINESS AS USUAL »

Les organisateur·trices ont été contraint·es de renoncer à faire de ce groupe un organe permanent, mais les tentatives d’imposer cette version de la science perdureront bien au-delà du Sommet, menaçant de saper le travail essentiel accompli par des institutions établies telles que le Comité de la sécurité alimentaire mondiale, dont l’organe scientifique compte une plus grande diversité de voix, parmi lesquelles celles de producteur·trices et de membres de la société civile. 

Tous ces ratés additionnés nous ont encore davantage éloigné·es des solutions durables que nous attendions en matière d’alimentation et de climat. Comment envisager l’avenir désormais ?

Remettons-nous en selle pour bâtir un consensus autour d’approches qui font une réelle différence. L’agroécologie en est une. Pour cela, les gouvernements doivent favoriser – au lieu d’écarter – des institutions établies, telles que le Comité sur la sécurité alimentaire, qui bénéficient de l’adhésion et de la participation des personnes qui sont en prise directe avec la crise alimentaire, sanitaire et climatique actuelle. C’est par ce biais qu’il faut remettre sur la table l’enjeu de la transformation des systèmes alimentaires vers plus d’équité et de durabilité, et faire avancer les idées qui en permettront la concrétisation. 

Les Sommets sur le climat et la biodiversité nous en donneront de nouvelles occasions. Les gouvernements devront saisir ces opportunités pour placer la transformation des systèmes alimentaires au cœur de tout accord de réduction des émissions de CO2 et de méthane, de tout accord de lutte contre la déforestation et de toute décision en matière de dépenses. 

Le Sommet sur les systèmes alimentaires n’a fait que perpétuer la politique du « business as usual » en le drapant d’un emballage novateur. Face aux crises climatiques, sanitaires et environnementales qui se profilent, nous ne pouvons plus nous permettre un tel échec.  

Cet article a été traduit de l’anglais au français. © Fondation Thomson Reuters 

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