Deux femmes engagées pour plus de sécurité alimentaire

Par

Margarete Sotier, Biovision

Esther Lupafya et Rachel Bezner Kerr s’engagent ensemble depuis 20 ans pour une alimentation saine au Malawi. Les fondatrices de l’organisation partenaire de Biovision SFHC abordent les normes de genre et la force de l’échange de connaissances ainsi que la recherche participative.

La situation alimentaire au Malawi s’est dramatiquement aggravée dans les années 80 – beaucoup d’enfants étaient sous-alimentés, souffraient de malnutrition. Comment avez-vous vécu cette période ?

Esther Lupafya : Je travaillais dans les années 80 comme infirmière à Ekwendeni. Durant cette période, beaucoup d’enfants étaient hospitalisé·es pour malnutrition. Lorsque les enfants étaient de nouveau sur pied et pouvaient rentrer à la maison, les parents étaient généralement inquiets. En leur parlant, nous avons appris que les enfants avaient un régime alimentaire déséquilibré, constitué principalement de maïs. Les parents racontaient que les champs n’étaient pas assez productifs car les sols étaient épuisés et qu’il·elles n’avaient pas les moyens de se payer de l’engrais. Ils·elles n’avaient aucune connaissance sur les alternatives écologiques aux engrais de synthèse et étaient souvent dépendant·es de la monoculture. J’ai alors compris que nous avions besoin d’une solution d’approvisionnement plus durable.

À quoi pensiez-vous comme solution ?

Esther Lupafya : C’est à cette époque que j’ai fait la connaissance de Rachel. Elle étudiait la science des sols au Canada et était en visite au Malawi. Nous avons appris d’elle des méthodes d’agro-écologie, notamment comment faire soi-même son engrais liquide ou comment faire des cultures intercalaires de légumineuses. Nous avons cherché des agriculteur·rices qui voulaient essayer ces méthodes. Ce fut assez facile car des parents d’enfants hospitalisés se sont dits intéressés. Ils·elles ont testé sur une petite surface de leur exploitation, en conditions réelles. Nous les avons régulièrement rencontré·es pour échanger les expériences et finalement former une équipe de recherche et de conseil à laquelle les agriculteur·rices pouvaient s’adresser.

La question du genre a vite surgi, en parallèle de l’agriculture durable. Pourquoi ?

Esther Lupafya : Nous avons compris avec le temps qu’il fallait faire bien plus que de remplacer les engrais chimiques pour que l’état nutritionnel des enfants s’améliore, à savoir comprendre les dynamiques sociales et culturelles et les faire évoluer. Lors des échanges avec les familles, nous avons découvert que les inégalités entre les sexes généraient régulièrement des conflits dans les foyers. Notamment en matière de prise de décision ou d’accès aux ressources. La nécessité de renforcer le rôle de la femme était évidente.

Comment avez-vous abordé ces thèmes sensibles ?

Rachel Bezner Kerr : Nous avons mené des interviews et des ateliers avec les agriculteur·rices que nous avons réparti·es par catégorie d’âge et de sexe afin de pouvoir parler de certains sujets plus sensibles. Nous avons constaté que cela n’aidait pas vraiment les ménages que ce soient les hommes qui vendent les produits et disposent de l’argent, parce qu’ils le dépensaient souvent pour de l’alcool. Bien que nous augmentions la production, la situation empirait pour les familles. Cela nous a incitées à nous concentrer sur la question du genre. Encore aujourd’hui nous proposons des entraînements en lien avec le genre, au moyen de méthodes de théâtre, danse ou chant.

Portrait von

Esther Lupafya

Esther Lupafya est directrice et cofondatrice de l’organisation malawite SFHC (Soils, Food and Healthy Communities), partenaire de Biovision depuis 2019. Elle s’intéresse tout particulièrement aux thèmes de l’égalité des genres et de l’amélioration des conditions de vie des gens au Malawi. Elle est titulaire d’une maîtrise en développement social et santé.

Rachel Bezner Kerr​

Rachel Bezner Kerr est également cofondatrice de SFHC. En charge de l’aspect participatif et socioculturel du projet, elle aide à la conception, la tenue et l’analyse des projets de recherche. Aujourd’hui, elle travaille en tant que professeure en sociologie du développement à l’université de Cornell.

Chaque jour, des bénévoles s’adressent à vous pour adhérer à la SFHC. Et vous travaillez maintenant avec plus de 10 000 agriculteur·rices. Quelle est la recette du succès ?

Rachel Bezner Kerr : L’intégration des agriculteur·rices est la clé du succès. Il·elles peuvent tester par elles-mêmes les méthodes et partager avec les autres leurs connaissances. Tous·tes sont impliqué·es, de la planification à la mise en œuvre. Cela interpelle les gens. Nous avons désormais autant d’hommes que de femmes qui participent.

De quoi êtes-vous particulièrement fières ?

Rachel Bezner Kerr : Un des moments forts fut en 2010, lorsque nous avons pu constater une amélioration significative de la croissance des enfants. Nous avons également contribué à faire évoluer favorablement la sécurité alimentaire ainsi que l’égalité des sexes. Et je sais que le travail que nous fournissons produits de bons effets sur l’environnement.

Quels sont les bénéfices pour les agriculteur·rices qui participent ?

Esther Lupafya : Il·elles apprennent à faire de l’engrais naturel ou à quoi faire attention lors de la rotation des cultures. Nous proposons aussi des cours de cuisine pendant lesquels les gens apprennent à préparer les différentes sortes de légumes. Grâce aux cours en agroécologie, la situation alimentaire des familles s’est sensiblement améliorée. Les familles d’agriculteur·rices ont suffisamment de nourriture pour leurs enfants et peuvent même vendre les légumes en surplus sur le marché. Avec les recettes supplémentaires, elles peuvent payer les frais de scolarisation.

À ne pas manquer !

Suivez Esther Lupafya lors de notre soirée-évènement. Apprenez en plus sur les succès et défis relevés par l’organisation SFHC ainsi que sur les méthodes des agriculteur·rices engagé·es face à la crise climatique.

Rachel Bezner Kerr; Lizzie Shumba und Esther Lupafya von SFHC Malawi

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