Joseph Nkandu est né dans une plantation de café en Ouganda. Ses parents, paysans propriétaires, travaillaient dur mais peinaient à joindre les deux bouts : « Mes
parents n’étaient jamais sûrs d’avoir assez d’argent à la fin du mois pour me
payer l’école. » Quelques années plus tard, il apprend que le café, représentant
30 % des recettes d’exportation, est la première source d’entrée de devises du
pays. « Pour moi, ce n’était pas logique : comment se fait-il que ma famille ne gagne pas suffisamment pour payer mes frais de scolarité alors que le café est la principale source de revenus du pays ? »
Joseph Nkandu se met alors en quête de réponses. Il commence par étudier l’agriculture à l’université Makerere de Kampala grâce à l’aide financière d’un oncle. Il
complète ensuite ses connaissances par un diplôme d’études supérieures de niveau
master (MBA) en gestion sociale d’entreprise. Fondateur et directeur de la coopérative Nucafé, il sait qu’il a aujourd’hui derrière lui un million et demi de
petit·es caféiculteur·trices. Dernière de ses concrétisations en date : « Queen of Coffee ».
C’est le nom du label sous lequel il produit du café avec d’autres familles de l’île
Bunjako, sur le lac Victoria. « La seule et unique caféterie insulaire du monde »,
fait remarquer Joseph Nkandu. C’est là qu’il aimerait construire un écohébergement,
afin que les touristes puissent venir dormir en pleine nature, à proximité de la rive,
pour observer de près la production de café.
Avant, le sort des familles productrices de café de Bunjako était dans les mains des
négociants, qui leur achetaient le café à un cinquième du prix actuel (14 centimes
contre 70 aujourd’hui). Depuis qu’une nouvelle route, construite en partie grâce
à l’engagement de Joseph Nkandu, relie l’île au reste du monde par une simple
digue, les familles de Bunjako sont enfin rémunérées au juste prix.
Autre réalisation de Joseph Nkandu : une ferme modèle, destinée à apprendre à la
population locale comment cultiver le café de manière plus efficace. « En tant qu’agronome, j’ai utilisé la science pour aider les familles de caféiculteur⋅trices à augmenter leur production sur de petites parcelles. » Par exemple, en rapprochant les plants de café, en les enfonçant dans des cuvettes pour retenir l’eau et en y ajoutant du compost qui permet d’obtenir une récolte bien meilleure sur une même surface. Sans oublier l’amélioration de la qualité de la production, avec de meilleurs tarifs à la clé.
En voyant les quantités qu’il arrivait à récolter sur sa ferme modèle, les autres paysan⋅nes ont commencé à s’inspirer de ses méthodes. « Avant, nous utilisions des pesticides et nous avons pollué notre environnement », explique Ben Luboyera, l’un des producteurs de Queen of Coffee : « Nous avons vu sur la ferme modèle qu’il était possible de cultiver selon les principes de l’agroécologie. L’argent dépensé autrefois en produits chimiques nous sert désormais à entretenir nos habitations. »

Connaissances, mise en réseau et capital
L’an dernier, Joseph Nkandu a fait partie de la vingtaine d’entrepreneur·euses qui ont participé au tout premier camp de formation d’une semaine organisé par « Neycha Accelerator Fund » à l’initiative de Biovision et de son organisation partenaire Shona pour promouvoir les entreprises agroécologiques du Kenya et d’Ouganda. Au programme : développement des connaissances, mise en réseau et accès au capital. Avec le soutien des spécialistes en agroécologie et en gestion d’entreprise, les participant⋅es améliorent leur business plan, leurs méthodes comptables, leur modèle d’affaires mais aussi leurs pratiques agroécologiques, sans oublier les aspects sociaux tels que l’égalité des droits et la codécision.
Notre outil d’analyse « Business Agroecology Criteria Tool » (B-ACT) nous permet
d’évaluer le profil agroécologique des entreprises. « Nous ne pouvons pas exiger
d’elles qu’elles respectent d’emblée les 13 règles fondamentales de l’agroécologie
», explique Fabio Leippert, coresponsable Dialogue politique et plaidoyer. Un calendrier est fixé en commun concernant les améliorations à apporter.
Les points forts de Queen of Coffee sont la biodiversité, la co-création de connaissances et la participation. Joseph Nkandu est confiant : bientôt, il pourra appliquer les autres principes de l’agroécologie. Sa participation à Neycha lui a permis d’acquérir de nouvelles connaissances et d’échanger avec d’autres responsables d’entreprises ougandaises et kényanes avec qui il partage la même vision. Par exemple avec Miswaleh Zingizi, ancienne journaliste de télévision, qui se consacre désormais à la culture de la noix de cajou.

L’entreprise dans la salle de séjour
Miswaleh Zingizi et son mari ont récemment vidé leur salle de séjour pour y installer leur société. Ils vivent désormais au premier étage de leur maison à Nairobi. Le vaste canapé a cédé la place à un espace de travail où trois ouvrières de l’entreprise Kaya Nuts grillent et conditionnent des noix de cajou. De son bureau placé dans un coin de la pièce, Miswaleh Zingizi lance : « Nous n’arrivons pas à répondre à toute la demande ! » Elle propose des versions épicées, telles que citron-cayenne ou menthe poivrée, mais aussi des barres chocolatées et de la pâte à tartiner. Kaya Nuts livre des épiceries fines du pays et gère également un site de vente en ligne. Les noix de cajou proviennent de la région côtière du Kenya, d’où Miswaleh Zingizi est originaire.
En 2018, alors qu’elle était de passage sur ses terres natales du district de Kwale,
l’odeur de la noix de cajou grillée a réveillé ses souvenirs d’enfance. Les femmes travaillant dans la transformation lui ont exposé les difficultés qu’elles rencontraient pour commercer avec la clientèle et la précarité dans laquelle elles vivaient. C’est ainsi qu’est née une collaboration qui perdure jusqu’à présent. Aujourd’hui, 400 ouvrières livrent leur production à Kaya Nuts, ce qui leur assure des revenus réguliers. Elles sont formées et conseillées sur les méthodes de production agroécologiques et reçoivent des aides pour remplacer progressivement leurs arbres par de nouvelles variétés résistant mieux aux périodes de sécheresse, toujours plus fréquentes. « Et nous incitons les familles paysannes à cultiver des melons ou des petits pois entre les rangées d’arbres », ajoute Miswaleh Zingizi.
La cheffe d’entreprise considère qu’il y a un avant et un après l’atelier Neycha : « C’est la première fois que j’entendais parler d’agroécologie. » Ses connaissances en gestion d’entreprise ont également fait un grand bond en avant. Miswaleh Zingizi aimerait prochainement transformer les pommes de cajou, habituellement jetées, en produits commercialisables. Cela créerait des emplois qui sortiraient la population locale de la pauvreté. « C’est vraiment ce qui me motive aujourd’hui », conclut-elle.
Joseph Nkandu et Miswaleh Zingizi illustrent bien la manière dont Biovision, en coopération avec des entreprises, parvient à créer des conditions propices aux paysan·nes qui s’investissent dans la production agroécologique. L’histoire ne fait que commencer.

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