Lors de sa conférence de presse annuelle début janvier, l’Union suisse des paysans a parlé d’une « année décisive pleines d’enjeux » pour l’agriculture. Qu’en pensez-vous?
Maya Graf: Je préfère voir une «année d’opportunités» sans l’image un peu inquiète donnée par l’USP. Les agriculteurs/trices biologiques et bien d’autres familles paysannes ont toujours été ouverts au changement, innovants, capables de relever les défis. Je pense que maintenant c’est principalement à la politique de jouer – le Parlement, le Conseil fédéral et les départements.
L’euphorie de la vague verte au Conseil national, à la fin de l’an dernier, a été suivie de désillusions: lors de sa première session, le Conseil des États n’a pas pris de décisions très écologiques sur de nombreux sujets, comme la protection de l’eau. Comment l’avez-vous vécu?
Même si les Verts ont pour la première fois leur propre groupe parlementaire au Conseil des États, ils restent clairement minoritaires avec le PS. Cela signifie que pour les majorités, nous avons besoin de représentant-e-s du PLR ou du PDC qui puissent faire un pas vers nous sur les pesticides, le climat, le paysage et la protection des espèces. Ils ne sont jusqu’ici pas légion – mais cela peut encore changer. Étonnamment, ces quatre dernières années, des progrès sont venus du Conseil des États, alors que le Conseil national bloquait. Nous avons donc pratiquement perdu quatre ans. Ce sera passionnant de voir comment les choses évolueront. Le signal de la population est clair: les électrices/teurs veulent que les problèmes écologiques soient enfin empoignés et que des solutions soient trouvées.
N’est-ce frustrant pour vous ? Vous êtes passée du Conseil national – où maintenant s’est répandue la vague verte – aux Conseil des États, qui semble davantage conservateur.
Au contraire! Des gens comme moi, ou d’autres politiciennes vertes expérimentées comme Adèle Thorens et Lisa Mazzone, y sont d’autant plus nécessaires. J’ai pu agir au Conseil national pendant 18 ans, maintenant je veux travailler là où il y a un besoin, là où je peux apporter mes connaissances et mon expérience afin de convaincre les parlementaires. Je ne m’inquiète pas pour le National. Il y a maintenant 30 Verts jouissant d’excellentes possibilités. Les nouvelles et nouveaux sont au top politiquement et professionnellement. Tellement motivé-e-s qu’il faut presque les freiner !
Après avoir passé presque deux décennies au Conseil national, n’éprouvez-vous aucune désillusion ? Vous pensez toujours pouvoir changer les choses?
Absolument. Tout l’effort en valait la peine. J’ai eu des larmes en voyant le résultat des élection le soir du 20 octobre : quelle secousse historique pour la Suisse ! C’est merveilleux pour moi de l’avoir vécue. Et je suis convaincue que je peux aussi faire une différence au Conseil des États. Bien sûr, nous allons perdre beaucoup de votes, mais j’y suis habituée (rires). Ça ne m’arrête pas. Au contraire! Si vous ne lâchez pas, vous gagnez.
Comment est-ce que vous percevez l’humeur actuelle de la population? Est-ce qu’il y a vraiment plus de pression pour verdir la politique, y compris sur les milieux bourgeois?
Oui. En 2011, après Fukushima, de nombreux parlementaires du centre avaient mis un manteau vert. Du coup, les écologistes n’ont guère pu profiter du sentiment de la population. Mais les promesses électorales des partis bourgeois n’ont pas été tenues. Il a fallu attendre 2017 pour qu’on mette en place la nouvelle stratégie énergétique. Maintenant, c’est différent. Nous, les Verts, avons presque triplé nos sièges au Conseil national, et les Verts libéraux ont également marqué des points. Je pense qu’il y a beaucoup de pression sur les partis du centre pour qu’ils tiennent cette fois leurs promesses de protéger efficacement le climat et l’environnement.
Beaucoup plus de jeunes ont été élus. Qu’est-ce qui va changer?
Avec autant de jeunes, dont presque la moitié sont des femmes, la culture au sein du Palais fédéral est toute chamboulée. On le remarque immédiatement dès qu’on entre. L’atmosphère est plus ouverte, plus directe. Les gens des services du parlement m’ont dit que c’est la première fois que des député-e-s nouvellement élu-e-s leur demandent des renseignements : où est-ce, est-ce que ceci ou cela est possible… ? Dans le passé, les politiciens – j’utilise délibérément la forme masculine – savaient tout eux-mêmes. Ils se sentaient supérieurs.
Et les jeunes, en quoi sont-ils différents?
Ils communiquent plus ouvertement entre eux, ils ont une conception hiérarchique plus détendue. Les jeunes se sont mis en réseau au-delà des partis, il y a une « colocation Bundeshaus » et un club U-35. Non seulement ils sortent ensemble, mais ils échangent aussi des idées sur des problèmes qui affectent les jeunes. Il n’y a jamais rien eu de pareil aux Chambres fédérales.
Et cela profite aux préoccupations environnementales?
Oui, car la transformation vers un avenir écologique est également une question culturelle centrale: comment vivre, travailler et faire face ensemble dans la société, comment mieux répartir la richesse, que manger et comment le cultiver.
Que faire pour entamer les étapes souhaitées vers la transition durable cette année?
Ce qui est crucial, c’est que le mouvement dans la société et dans la rue se poursuive. En fait, nous savons depuis 40 ans que nous devons faire quelque chose. Mais malgré la montée des Verts, bien ancrés dans les cantons, jusqu’au niveau national, il ne s’est pratiquement rien passé en politique. Le pouvoir de la rue, comme émanation de la société, a fait défaut depuis 30 ans. Maintenant, deux mouvements forts comme le mouvement des jeunes pour le climat et la grève des femmes se sont réunis. Et il ne faut pas l’oublier: des gens comme moi, qui manifestaient pour l’environnement dans les années 80, se joignent à eux. Cette pression doit donc continuer d’en bas. Les milieux politiques bourgeois doivent savoir qu’ils sont surveillés.
Quel espoir avez-vous dans les deux initiatives anti-pesticides?
Je suis fermement convaincue qu’un contre-projet indirect du Conseil fédéral est nécessaire. On devrait inscrire des jalons dans la Politique agricole 22+ et rendre contraignant le Plan d’action national actuel sur les pesticides. Il faut montrer aux citoyens que les politicien-ne-s veulent vraiment agir maintenant. On va voir: même si l’une des initiatives est acceptée, sa mise en œuvre prendra des années précieuses et la discussion recommencera. Pourtant ces sujets sur la qualité de l’eau potable et dans l’agriculture qui utilise des pesticides sont brûlant au sein de la population. Tout le monde est désécurisé et a besoin de clarté.
Les agricultrices et les agriculteurs sont inquiets. Pourquoi?
Le glyphosate et d’autres pesticides nocifs sont utilisés depuis 40 ans. Les paysane-ne-s les répandaient en pensant qu’ils étaient inoffensifs. Ils étaient approuvés et contrôlés par l’autorité de régulation. Là, nos autorités compétentes ont totalement échoué. Le monde rural a maintenant besoin de clarté et de pesticides biologiques alternatifs. De même, la recherche agricole a complètement échoué sur ce plan. Depuis 70 ans, tout a été investi dans la mise au point de produits chimiques synthétiques, pratiquement rien dans les alternatives. Il y a un besoin urgent de fonds supplémentaires pour la recherche en méthodes biologiques et pour le développement de cultures résistantes. Je n’ai donc jamais compris pourquoi l’USP n’a pas préconisé un contre-projet à ces initiatives qui soit combiné avec de telles demandes.
« 2020, l’année des opportunités » – que va-t-il se passer?
Le point de départ est très ouvert. Personne ne peut dire aujourd’hui comment la dynamique se développera. Dans une telle situation, j’ai tendance à dire: nous pouvons faire de grandes choses. Ça n’ira sûrement pas aussi loin que je le souhaiterais. En politique, les changements de paradigme n’arrivent pas en un an, cela prend du temps et beaucoup de travail. Mais je dirais: s’il n’y a pas de rejet obstiné de part et d’autre, nous nous en sortirons certainement bien à la fin de l’année.