La route de gravier au nord du Mont Kenya relie sur plus de 650 km Isiolo à la frontière somalienne. C’est de là que convergent depuis mai des caravanes d’animaux avec leurs bergers vers le sud-ouest. Ils fuient la sécheresse pour chercher les premiers brins d’herbe. Car les précipitations tardent à venir une fois encore. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Corne de l’Afrique est frappée depuis le tournant du siècle presque chaque année par la séche- resse. Le Kenya a déjà souffert d’une aridité extrême en 2014/15 en raison du phénomène climatique « El Niño ». Dans le territoire d’Isiolo, où il a un peu plu, des éleveurs de différentes ethnies sont en forte concur- rence pour une nourriture rare. La situation est très tendue.
Manger des pierres
A 70 km à l’est d’Isiolo se trouve le village de Kula Mawe – littéralement « Mange-pierres ». Ça se voit. Une poussière sèche et brûlante prend à la gorge. La vie des Borana, une nation de bergers, est très dure. « Avant, j’avais 110 chèvres, maintenant il m’en reste à peine 20 », raconte Abdy Guyo, 64 ans. Comme la plupart des gens de Kula Mawe, il est dépendant de l’aide alimentaire. Pour sa fille aînée Amina et sa famille, la situation est critique, d’autant plus que son mari est paralysé d’une jambe et ne peut pas travailler. Mais tous deux ont des raisons d’espérer. Depuis avril 2016, ils sont propriétaires d’un dromadaire chacun. Auparavant, Abdy et Amina avaient été sélectionnés avec 16 autres hommes et femmes de la communauté pour participer au projet pilote de Biovision et Vétérinaires Sans Frontières Suisse (VSF). Si les femelles vêlent, les propriétaires auront environ trois à sept litres de lait par jour, un apport très sain et très important pour l’alimentation. La vente du lait leur rapporte également 100 shilling kenyan (90 ct suisses) par litre. « Les chameaux sont beaucoup plus résistants à la sécheresse que les autres animaux. Ils donnent du lait même pendant la saison sèche », se réjouit Abdy Guyo.
Apprendre de ses erreurs
« Depuis quelques années, les plus pauvres sont voués à devenir gardiennes de chameaux », explique Ibrahim Muktar, responsable du projet de VSF à Isiolo. Mais ces personnes avaient en fait peu de chances de réunir les fonds nécessaires à la prise en charge médicale des animaux et au paiement des bergers. « Nous en avons tiré des leçons. Nous donnons maintenant les dromadaires à des gens qui ont au moins un petit revenu », ajoute-t-il. Il y a encore d’autres défis à maîtriser. Seules cinq femelles sont actuellement portantes à Kula Mawe, et avec les mauvaises conditions de fourrage, il est difficile d’améliorer la reproduction.
Kula Mawe est l’un des quatre sites où ont été distribués au total 50 dromadaires financés par Biovision. Grâce au projet, les familles pastorales jouissent des avantages offerts par ces animaux, particulièrement en période de sécheresse. Benjamin Losusui, un berger expérimenté, espère que le projet fera des émules : « Le chameau, c’est l’avenir ! »