« Continuer comme avant n’est pas une option ». Telle était en 2009 la conclusion critique du rapport mondial IAASTD (Évaluation internationale des connaissances, sciences et technologies agricoles au service du développement – résumé en français). Une décennie plus tard, Hans Herren – ancien co-président de l’IAASTD et lauréat du Prix mondial de l’alimentation – lançait avec Benny Haerlin – ex-représentant des ONG au bureau de l’IAASTD – le groupe consultatif IAASTD+10.
Avec 40 auteurs de renom, ils s’inspirent de ce qui a été réalisé depuis la publication du rapport en 2009 dans le nouveau livre « Transformation of our food systems – the making of a paradigm shift », édité par Biovision et la « Foundation of Future Farming ». Ce livre est publié à l’approche de la conférence annuelle virtuelle du Comité de l’alimentation et de l’agriculture de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Là, le concept d’agroécologie sera pour la première fois au centre des discussions.
Après des milliers de tasses au « Vienna Café » des Nations unies
Le livre est publié en vue de l’unique réunion (virtuelle) prévue cette année du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) de la FAO. Là, pour la première fois, l’agroécologie sera au centre des discussions. Alexander Wezel, co-auteur du rapport du Groupe d’experts de haut niveau du CSA sur les « Approches agroécologiques et autres approches innovantes », décrit dans son article comment l’IAASTD en tant que cadre politique global pour de nombreux mouvements sociaux et paysans à travers le monde a trouvé son chemin au sein de la FAO. Sa contribution fait partie de 13 essais sur des rapports marquants traitant d’alimentation et d’agriculture à la suite de l’IAASTD.
De leur côté, Mayumi Ridenhour et Michael Bergöö expliquent comment les résultats de l’IAASTD ont pu être intégrés aux Objectifs de développement durable (ODD) de 2015, en les améliorant significativement – un but atteint après des milliers d’expressos au Vienna Café des Nations unies.
COVID-19 et système alimentaire
L’IAASTD avait déjà prédit un accroissement des maladies zoonotiques, mais certainement pas la pandémie actuelle. L’épidémiologiste évolutionniste Robert G. Wallace analyse le COVID-19 dans le contexte de crises précédentes : Zika, grippe porcine, Ebola Makona et autres maladies. Et il explique pourquoi « ces épidémies (…) sont plus que des coups de malchance » : elles sont liées à la production de viande industrialisée.
En 2019, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a publié son rapport spécial « Changement climatique et les terres émergées », aboutissant également à une conclusion plutôt sombre. Mais ce rapport a apporté une contribution importante au changement de paradigme, indique Marta G. Rivera-Ferre, directrice de la Chaire Agroécologie et Systèmes Alimentaires à l’Université de Vic – Université Centrale de Catalogne.
En 2016, IPES-Food a publié le rapport « De l’uniformité à la diversité ». Dans sa contribution au livre, Emile A. Frison rappelle les mécanismes clés identifiés par ce document, qui maintiennent le système alimentaire industriel en place. Il mentionne 7 voies qui permettraient une transition vers des systèmes agroécologiques diversifiés.
Une décennie après le Rapport mondial sur l’agriculture (IAASTD) de l’ONU, ce nouveau livre critique appelle à accélérer la transformation des systèmes alimentaires. Le livre « Transformation of our food systems » a été initié par le président de Biovision, Hans Rudolf Herren.
« Une expérience éclairante »
Les problèmes se sont accrus depuis 2009. C’est l’une des conclusions fortes du livre. Le réchauffement climatique s’est accéléré, la biodiversité diminue à tout allure et nous sommes confrontés à une grave crise alimentaire – depuis plusieurs années, la faim et la malnutrition sont à nouveau en hausse alors que de plus en plus de gens souffrent d’obésité.
Le professeur d’Auckland Boyd Swinburn, coprésident de la Commission Lancet sur l’obésité, appelle cela « un exercice éclairant » pour réfléchir à l’évolution de ce « défi absolument majeur ». Dans son article, il présente le rapport 2019 de la Commission Lancet qui relie les phénomènes d’obésité, de malnutrition et de risque climatique. Son constat : « Nous avons fait des progrès considérables en termes de paradigmes, concepts, rhétorique et engagements mondiaux »… mais l’action politique sur le terrain est restée « disparate et anémique ».
Accord sur les enjeux
On pourrait en conclure qu’on a fait des grands pas dans la théorie, mais juste des petits pas sur le terrain. Pourtant, le rapport 2019 de la « Global Alliance for the Future of Food » et de Biovision donne des raisons d’être plus optimiste. Un groupe d’experts y a rassemblé des initiatives venant du monde entier sous le titre « Beacons of Hope » (Lueurs d’espoir). Ces bonnes pratiques ne sont pas seulement des sources d’inspiration pour transformer les systèmes alimentaires, elles aident aussi à mieux comprendre comment soutenir et faciliter les processus de transition.
Si les réponses diffèrent encore, contrairement à 2009, il y a maintenant un accord sur les défis auxquels il faut répondre. Comment arrêter le réchauffement climatique et la crise de la biodiversité? Comment s’adapter aux limites planétaires? Comment transformer nos systèmes alimentaires pour qu’ils deviennent justes et durables?
Cet ouvrage « Transformation de nos systèmes alimentaires – Genèse d’un changement de paradigme » est une précieuse boîte à outil pour les décideurs comme pour les activistes. Le statu quo n’étant pas une option, il est plus urgent que jamais de trouver comment mettre en oeuvre des réalités justes et durables tout au long de la chaîne alimentaire.